Comment réduire les impacts de l’espèce humaine sur notre environnement à un niveau soutenable pour sa survie et celle des autres espèces ? Depuis la parution en 1972 de «Halte à la Croissance » du Club de Rome, la place de la sobriété dans la transformation à mener est de plus en plus reconnue.
D’abord ignorée des institutions en France, comme dans la plus part des pays, le terme prend une importance grandissante. Le concept, défendu notamment par l’Association négaWatt depuis de nombreuses années, consiste à questionner, réviser les besoins de consommation, et éviter les gaspillages 1.
Passer de déplacements en voiture individuelle au vélo, éteindre les lampadaires la nuit, supprimer les écrans lumineux publicitaires sont des exemples d’actions de sobriété. Selon les scénarios de transition énergétique élaborés par négaWatt et l’ADEME, les actions de sobriété ont des conséquences en chaînes qui, couplées à des actions d’efficacité (optimisation des procédés pour réduire les consommations), et de développement des énergies renouvelables, pourraient permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre à un niveau soutenable
Pourtant, force est de constater que les évolutions en cours ne sont pas à la hauteur en France, comme au niveau mondial. A titre d’exemple le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à réparer les dommages causés par son inaction climatique d’ici 21 décembre 2022. La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur les menaces que fait peser l’actuelle trajectoire des gaz à effet de serre et l’érosion de la biodiversité. Certains de ses membres mènent même des actions de désobéissance civile, rejoignant des pratiques citoyennes courantes depuis longtemps 2.
Si les investissements dans les énergies renouvelables ne cessent d’augmenter et que de plus en plus d’entreprises tentent de verdir leur image, les actions de sobriété peinent toujours à se développer. En effet, nombre de ces mesures vont à l’encontre de certains intérêts économiques (ex. les publicitaires), impliquent un changement dans les politiques publiques et une réorientation massive des investissements (par ex. de la mobilité routière vers les transports en communs) ou nécessitent des changements d’habitudes qui sont longs à ancrer dans notre quotidien.
Et si elles ne s’accompagnent pas d’une mesure en faveur de la justice sociale, les actions de sobriété ont toutes les chances d’être combattues par une part significative de la population. Souvenons-nous des bonnets rouges, camionneurs brettons prêt à brûler des portiques de contrôle pour conserver leurs emplois 3. S’assurer que les plus précaires ne vont pas subir davantage les transformations et qu’au contraire les formes les plus graves d’exclusion et de misère vont disparaitre est donc un prérequis.
Ces changements sont en effet intrinsèquement liés aux notions d’équité, de répartition des efforts ; ils questionnent les pouvoirs en place et leur répartition. Aussi, la possibilité de voir advenir ces mesures de sobriété est profondément affectée par la faiblesse du fonctionnement démocratique de notre société française. Chaque élection révèle un taux d’abstention plus élevé que la précédente, les sondages montrent un désintérêt croissant, une perte de confiance dans les élus. Le soulèvement des gilets jaunes a montré à quel point les politiques menées (et imposées) sont en décalage avec la vie des milieux populaires et une réalité quotidienne de souffrance et de grande précarité.
Aux échelles nationales comme plus locales, la faiblesse des politiques de sobriété vont de pair avec de graves déficits démocratiques.
A l’échelle locale, les communautés de communes de plus de 20 000 habitants ont pour obligation de réaliser un Plan Climat Air Énergie Territoriaux. Évaluation des gaz à effet de serre du territoire, identification des potentiels d’économie d’énergie, mobilisation des acteurs, en théorie cette démarche pourrait permettre de réelles avancées sur le plan du changement climatique sur les territoires. Les résultats sont cependant très décevants ; la très grande majorité des Plans Climats débouchent sur des plans d’actions qui ne font qu’amplifier légèrement des démarches en cours alors que de véritables changements de direction seraient nécessaires. Ces Plans Climat sont généralement élaborés avec une participation citoyenne de façade ; les décisions clés sont souvent prises par un cercle fermé de responsables politiques : le plus souvent des hommes, de milieux aisés, blancs, de plus de 55 ans. En outre, les grandes luttes contre les projets “d’ébriété énergétique” sont confrontées à l’impasse démocratique : l’aéroport de Notre Dame des Landes, le Center Park du Roybon, etc., les exemples sont légions.
Au niveau national, le travail de la convention citoyenne pour le climat est édifiant à plusieurs titre. Il a illustré à la fois la force de ce que pourrait être une démocratie renouvelée et la faiblesse de la démocratie actuelle. Le président Macron s’est d’abord engagé à reprendre telles quelles les propositions des citoyens, puis est revenu sur cette promesse en dénaturant la quasi totalité des mesures, affaiblissant encore la confiance des citoyens dans l’État. L’exercice a cependant montré comment un groupe de citoyens tirés au sort de manière représentative de la société française était à même de prendre des décisions éclairées bien plus ambitieuse et à la hauteur des enjeux que les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans. On retrouve ce phénomène également à l’échelle locale, quand les citoyens sont mobilisés pour se positionner sur les mesures des plans climats.
Devant l’urgence d’agir, donner le pouvoir aux citoyens, au sens de tendre réellement vers cette utopie qu’est la démocratie : le pouvoir par le peuple pour le peuple, est indispensable pour mener des actions de sobriété elles même indispensables à la survie de l’humanité. Tirage au sort d’assemblées délibératives, proportionnelle, révocation des élus, référendum d’initiative citoyenne, travail en groupes de pairs pour permettre la prise de parole de celles et ceux qui sont à la fois hésitants à s’exprimer et souvent pas écouté 4 : de nombreuses solutions existent pour redonner de la vigueur à notre démocratie amorphe. Aussi, des acteurs qui travaillent sur la mise en œuvre de la démocratie directe comme la SCIC Fréquence Commune sont essentiels. Ils contribuent, en s’appuyant sur l’échelle locale, à redonner le pouvoir au peuple et par la même, rendre possible la mise en œuvre de politiques de sobriété indispensables à notre survie collective.
En cette période d’élection présidentielle, soyons attentifs aux candidats qui mettent en avant autant l’urgence climatique que le renouveau démocratique, les deux vont de pairs.
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1 Le GIEC définit la sobriété ainsi : « Sufficiency policies are a set of measures and daily practices that avoid demand for energy , materials, land and water while delivering human wellbeing for all within planetary boundaries.”
2 https://www.sudouest.fr/environnement/climat/climat-face-a-l-urgence-de-la-crise-des-scientifiques-optent-pour-la-desobeissance-civile-10439524.php
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_Bonnets_rouges
4 Réussir la participation de toutes et tous : petit guide pratique pour agir Editions Quart Monde 2021 https://www.atd-quartmonde.fr/reussir-la-participation-de-toutes-et-tous-petit-guide-pratique-pour-agir/