L’Analyse de Cycle de Vie est une méthode d’évaluation quantitative des impacts de produits ou de service qui a été développée il y a plus de 30 ans. Cette approche est utilisée par des centaines d’entreprises à travers le monde dans le cadre de démarches d’éco-conception, de campagnes marketing, ou d’affichage environnemental. Elle permet de comptabiliser les impacts environnementaux depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie du produit. Cette approche scientifique permet d’additionner ces impacts de les rapporter à une même grandeur (unité fonctionnelle) et ainsi de comparer plusieurs produits selon leur performance environnementale.
L’ACV est donc la méthode qui sert de fondement aux démarches d’affichage environnemental qui se sont développées ces dernières années en Europe. La Commission Européenne s’apprêtait à publier le 30 novembre un projet de directive pour préfigurer le futur encadrement des allégations environnementales (« substantiating green claims »), dont l’affichage environnemental est un des axes. Pourtant, le projet de texte s’est heurté à une très vive opposition des associations de consommateurs, des ONGs environnementales… à tel point que la publication a été décalée en 2023 sans calendrier précis !
Apporter des informations au consommateur pour lui permettre, à chaque fois qu’il fait un achat, de choisir un produit moins impactant pour l’environnement ; un affichage environnemental quantitatif basé sur des ACVs … j’ai été longtemps enthousiasmé par cette idée ! J’ai réalisé plus de 60 ACV, mené des projets d’éco-conception, coordonné l’élaboration de référentiels méthodologiques pour l’affichage environnemental… et j’ai changé d’avis.
Généraliser l’affichage environnemental de produits s’appuyant uniquement sur des résultats d’ACV n’est ni efficace ni souhaitable.
D’abord il faut souligner que l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) se concentre sur une partie très limitée des enjeux environnementaux : celle de l’efficacité environnementale quantitative. C’est-à-dire par unité fonctionnelle (unité de mesure quantitative du résultat d’ACV) quels sont les impacts environnementaux.
Aussi l’ACV se révèle totalement inadaptée pour aborder la notion de sobriété, qui questionne, elle, l’intensité d’utilisation du produit/service étudié (le nombre de fois où l’unité fonctionnelle est mise en œuvre). La sobriété fait pourtant de plus en plus l’unanimité comme étant fondamentale pour prendre les mesures nécessaires afin de rester dans les limites planétaires.
En outre, l’ACV est plus facilement applicable à des processus standardisés industriels informatisés : la quantification des étapes du cycle de vie y est plus aisée. Or, ces processus industriels standardisés, sont bien souvent déjà analysés de manière systématique pour améliorer l’efficacité (économique). Il n’est donc pas étonnant que cet outil soit davantage utilisé par des grands groupes industriels que par des artisans pour promouvoir la qualité de leurs produits.
Enfin, la méthodologie et les pratiques actuelles d’ACV ne sont tout simplement pas suffisantes pour évaluer avec justesse les co-bénéfices de certains systèmes : comme par exemple pour l’agroécologie et l’agriculture biologique.
Si l’affichage environnemental basé sur l’ACV n’est pas souhaitable, que faire à la place pour inciter les entreprises à réduire leurs impacts environnementaux ? Une autre approche basée sur une généralisation des écolabels serait préférable. En effet, si l’ensemble des moyens humains et financiers utilisés pour l’affichage environnemental était alloué pour :
- Mettre à jour plus régulièrement les critères de l’écolabel européen (s’appuyant eux sur des ACV)
- Élargir les catégories de produits couvertes par cet écolabel
- Faciliter l’accès des petits producteurs à la labélisation
- Afficher systématiquement sur tous les produits non labellisés une indication en ce sens
- Légiférer pour interdire progressivement les produits aux caractéristiques problématiques (substances dangereuses, produits issus de la déforestation, etc.)
… ce serait beaucoup plus efficace !
L’approche de planet-score.org semble être une approche intermédiaire. Elle s’appuie partiellement sur l’ACV (pour l’impact Climat) mais intègre d’autres aspects : pesticides et biodiversité. Soutenue par nombre d’acteurs de l’agriculture biologique, elle semble présenter de nombreux avantages. Mais l’absence de transparence sur la méthodologie mise en œuvre la rend difficile à évaluer à ce stade.
En tout état de cause, la somme de système efficaces d’un point de vue environnemental, pris individuellement, ne fait pas une société durable. Or les démarches d’ACV se concentrent sur l’amélioration de systèmes pris séparément. L’ACV est un outil utile est puissant pour comprendre les enjeux environnementaux, se poser les bonnes questions, mais si les résultats des ACV ne sont pas interprétés en s’appuyant sur des scénarios de société durables tel que le scénario de l’Association négaWatt ou à AFTERRE de Solagro ils ne permettent pas de définir d’actions alignées avec les limites planétaires.
Cette utilisation mesurée de l’ACV est exactement celle que je partage avec mes étudiants de l’Ecole nationale des Travaux publics de l’Etat et avec mes clients !